LETTONIE - RUSSIE, Traités et documents de base

Ordre No.001223 de déportation du 11 octobre 1939.


ORDRE No.001223 définissant la procédure pour effectuer la déportation des éléments anti-soviétiques de Lithuanie, de Lettonie et d'Estonie du 11 octobre 1939.

STRICTEMENT SECRET


1. SITUATION GENERALE

La déportation des éléments anti-soviétiques hors des Républiques baltes est une tâche de haute importance politique. La réussite de son exécution dépend de la capacité des "troikas" et des quartiers généraux opérationnels de district de planifier avec attention l'exécution des opérations et de prévoir tout ce qui est nécessaire.

De plus, il faut prendre soin d'exécuter les opérations sans agitation, ni panique, de façon à interdire toutes manifestations et troubles que ce soit de la part des déportés ou de la part de la partie de la population locale qui est hostile à l'administration soviétique.

Les instructions sur la procédure à suivre pour exécuter les déportations sont données ci-dessous. Il faut exécuter strictement les instructions, mais dans des cas particuliers, les collaborateurs engagés dans les opérations doivent tenir compte des conditions concrètes et, pour maîtriser correctement la situation, prendre d'autres décisions pour atteindre le même but, soit de remplir la tâche qui leur est confiée sans bruit et sans panique.


2. PROCEDURE D'INSTRUCTION

L'instruction des groupes opérationnels est faite par les "troikas" de district aussi vite que possible le jour précédant les opérations en tenant compte du temps nécessaire pour se rendre sur le lieu de l'opération.

Les "troikas" de district organisent le transport des groupes opérationnels jusqu'au lieu des déportations.

Les "troikas" de district s'adressent à la direction locale du Parti soviétique pour recevoir le nombre nécessaire de voitures et de wagons.

Les locaux prévus pour transmettre les instructions sont soigneusement organisés à l'avance, tant par leur volume que par le nombre d'entrées et sorties, en prenant en considération la possibilité d'une intrusion de personnes étrangères. Pendant l'instruction le bâtiment est gardé par des membres de l'opération.

Si quelqu'un prévu pour l'opération ne se présente pas à la séance de transmission des ordres, la "troika" du district remplace de suite l'absent d'une réserve de personnel prévue à l'avance.

Par les officiers de la police, la "troika" notifie la décision du gouvernement de déporter un contingent déterminé d'éléments anti-soviétiques du territoire de la république ou de la région. De plus ils expliquent sommairement ce que ces déportés représentent.

On attire particulièrement l'attention des travailleurs du Parti, réunis pour la transmission des ordres, sur le fait que les déportés sont des ennemis du peuple soviétique et qu'une attaque armée de la part des déportés ne peut être exclue.


3. PROCEDURE POUR LA TRANSMISSION DES DOCUMENTS

Après des instructions générales pour les groupes opérationnels, on transmet les documents concernant les déportés. Les dossiers personnels des déportés sont réunis et transmis aux groupes opérationnels, par communes et villages, de sorte qu'il n'y ait pas de perte de temps lorsqu'ils sont distribués.

Après la réception des dossiers personnels, le chef du groupe opérationnel prend connaissance des dossiers des familles qu'il doit déporter. Il s'assure de la composition de la famille, des formulaires nécessaires à remplir pour les déportés, des moyens de transport pour les déportés. Il devra recevoir des réponses exhaustives à toutes ses questions.

En même temps que la remise des documents, la "troika" du district explique à chaque chef de groupe où habitent les familles à déporter, la route à suivre pour atteindre le lieu de la déportation et les routes que suivra le groupe opérationnel avec les déportés jusqu'à la gare où ils seront embarqués dans les trains. Il est également essentiel d'indiquer où sont stationnés les groupes militaires de réserve, au cas où il serait nécessaire de faire appel à eux en cas de troubles.

On contrôle tout le groupe opérationnel: les armes, l'état des armes et les munitions. Les armes doivent être prêtes au combat, les magasins chargés, mais les cartouches ne doivent pas être engagées dans le canon. Les armes ne doivent être utilisées qu'en dernier ressort, lorsque le groupe opérationnel est attaqué ou menacé d'attaque ou lorsqu'il y a résistance.


4. PROCEDURE POUR EFFECTUER LES DEPORTATIONS

Dans le cas de plusieures familles à déporter dans un village, l'un des membres du groupe opérationnel est nommé chef et il se rend avec son groupe dans le village. En arrivant dans le village, le groupe opérationnel prendra contact (en observant la discrétion nécessaire) avec les autorités locales: président, secrétaire ou membres du soviet du village, et s'informera du lieu exact où habitent les familles à déporter.

Après cela les groupes opérationnels, en compagnie des représentants des autorités locales, qui doivent faire l'inventaire des biens, se rendent chez les familles à déporter. Les opérations doivent commencer à l'aube. Dès qu'il pénètre dans l'habitation, le chef du groupe opérationnel réunit toute la famille dans une pièce, en prenant toutes les précautions nécessaires contre toute éventualité.

Après avoir contrôlé la conformité de la famille avec la liste, noté l'adresse des absents et le nombre de malades, on leur demande de rendre leurs armes. Indépendamment du fait si une arme a été rendue, le déporté est fouillé, puis on fouille l'ensemble des locaux pour trouver des armes cachées. Pendant la fouilles des locaux il y a un garde qui surveille les déportés.

Si la fouille permet de trouver des armes en petite quantité, elles sont réparties entre les membres du groupe opérationnel. Si on en trouve beaucoup, on les charge sur un camion ou dans un wagon du groupe, après en avoir retiré les munitions. Les munitions sont chargées avec les armes. Si nécessaire un convoi avec garde est organisé pour le transport des armes.

Dans le cas de découverte d'armes, de littérature contre-révolutionnaire, de devises étrangères, de grandes richesses, etc... on fait un bref rapport de la fouille sur place, où l'on indique les armes cachées et la littérature contre-révolutionnaire. S'il y a résistance armée, la "troika" de district décide de l'arrestation des personnes qui ont résisté et de leur transport à la section du Commissariat du Peuple de la Sécurité publique.

On dresse un rapport à propos des déportés qui se cachent ou qui sont malades, rapport qui est contresigné par le représentant local du Parti.

Après la perquisition, on notifie aux déportés qu'ils sont déportés par décision du gouvernement dans d'autres régions de l'Union.

Les déportés peuvent prendre avec eux un maximum de 100 kg d'effets personnels: 1) vêtements, 2)chaussures, 3) sous-vêtements, 4) couvertures, 5) vaisselle, 6) verres, 7)ustensiles de cuisine, 8) un mois de nourriture pour la famille, 9) l'argent, 10) valises ou malles pour y mettre les objets. Eviter les articles encombrants.

Si les gens sont des déportés de la campagne, il peuvent prendre de petits instruments agricoles - pioches, scies, et autres, de façon à ce qu'ils puissent être chargé dans des wagons spéciaux du train de déportation.

Pour ne pas mélanger ces biens avec ceux d'autres, on y écrit le prénom, le prénom du père, le nom de famille et le nom du village.

En chargeant ces biens sur les véhicules, on prend soin à les disposer de telle façon que les déportés ne puissent pas les utiliser pour résister pendant que le convoi roule sur la route.

Simultanément avec le chargement des véhicules par le groupe opérationnel, les représentants locaux du Parti présents préparent un inventaire des biens et décrivent les mesures de conservation en conformité avec les instructions reçues.

Si un déporté possède son propre moyen de transport, ses biens sont chargés sur ce véhicule et avec sa famille il rejoint le lieu d'embarquement.

Si le déporté n'a pas de véhicule les autorités locales réquisitionnent des charrettes dans le village, sur ordre du chef du groupe opérationnel.

Toutes les personnes qui entrent dans la maison du déporté pendant la procédure ou qui s'y trouvent, sont détenues jusqu'à la fin de la procédure et on s'informe de ses liens avec le déporté. Cela est fait pour trouver des personnes qui se cachent de la police ou des gendarmes. Après vérification de l'identité des personnes détenues et la vérification que ce ne sont pas des personnes recherchées, elles sont relâchées.

Si les habitants du village commencent à s'assembler autour de la maison pendant la procédure, ils sont sommés de rentrer chez eux, et aucun attroupement n'est toléré. Si le déporté refuse d'ouvrir la porte de sa maison, sachant que des représentants du Commissariat du Peuple de Sécurité publique sont arrivés, la porte doit être enfoncée. Dans des cas particuliers on peut demander de l'aide à un groupe opérationnel voisin.

Le transport des déportés du village vers le lieu de rassemblement à la gare doit être fait de jour; on prendra soin que le rassemblement de chaque famille ne prendra pas plus de 2 heures. Dans tous les cas un action ferme et décidée est de règle, sans le moindre excitation, bruit ou panique.

Il est catégoriquement interdit de confisquer des biens aux déportés excepté les armes, littérature contre-révolutionnaire et devises étrangères, ou d'utiliser la nourriture des déportés.

Tous les participants aux opérations sont avertis qu'ils s'exposent à être jugés pour tentatives d'appropriation de biens appartenant aux déportés.


5. PROCEDURE POUR SEPARER UNE FAMILLE DE DEPORTES DE SON CHEF DE FAMILLE

Prenant en compte que beaucoup de déportés doivent être arrêtés et envoyés dans des camps spéciaux et que leur famille doivent rejoindre des lieux de résidence spéciaux dans des régions lointaines, il est essentiel que le transport de la famille et de son chef ait lieu simultanément, sans les informer de leur future séparation. Après la perquisition et que les documents adéquats d'identifications ait été remplis dans la maison du déporté, un membre du groupe opérationnel remplit les documents du chef de famille qu'il met dans le dossier de celui-ci et ceux des membres de la famille dans le dossier de la famille. Le transfert de toute la famille jusqu'à la gare se fait ensemble dans un seul véhicule, et ce n'est que là que les chefs de famille sont séparés et placés dans un wagon spécial pour chefs de famille.

Pendant les préparatifs à la maison il faut avertir le chef de famille que ses effets doivent être mis dans une valise séparée car l'inspection sanitaire sera séparée pour les hommes, des femmes et des enfants.

A la gare les chefs de famille qui doivent être arrêtés sont placés dans des wagons spéciaux, que leur indiquent les préposés.


6. PROCEDURE POUR CONVOYER LES DEPORTES

Il est interdit aux membre du groupe opérationnel qui escortent les déportés de s'asseoir sur les véhicules. Ils doivent suivre à côté ou derrière la colonne des déportés. Le chef du convoi doit de temps en temps parcourir la colonne pour s'assurer du bon déroulement des opérations.

Quand le convoi passe dans un lieu habité ou qu'il croise des passants, il doit faire l'objet d'une surveillance particulière; les responsables doivent éviter les évasions et interdire toute conversation entre les déportés et les passants.


7. PROCEDURE POUR METTRE LES DEPORTES DANS LE TRAIN

A chaque lieu d'embarquement un membre de la "troika" et une personne spécialement nommée à cet effet sont responsables de l'embarquement. Le jour de l'embarquement le chef de l'embarquement, avec le chef du train de déportation et des forces armées d'escorte du Commissariat du Peuple des Affaires intérieures, examineront les wagons pour voir s'ils sont équipés de tout le nécessaire, puis se mettront d'accord sur la procédure à observer pour la remise des déportés.

Les hommes de l'Armée rouge formant l'escorte du Commissariat du Peuple des Affaires intérieures encerclent la gare.

Les chefs des groupes opérationnels transmettent au chef du train de déportation une copie de la liste nominale des déportés dans chaque wagon. Le chef du train de déportation, avec cette liste, fait l'appel nominal des déportés, vérifiant chaque nom et désignant la place dans le wagon. Les bagages du déporté sont chargés avec lui dans le wagon, à l'exception de l'inventaire agricole, qui est chargé dans un wagon séparé.

Les déportés sont réunis dans les wagons; il est interdit de séparer les familles (exception pour les chefs de famille sujets à l'arrestation). Un nombre de 25 personnes par wagon doit être observé.

Une fois que le wagon est rempli il est cadenassé.

A partir du moment où les personnes ont été remises et placées dans le train de déportation, le chef du train porte la responsabilité pour toutes les personnes embarquées et leur acheminement à leur destination. Après la remise le chef du groupe opérationnel fait son rapport sur son opération, note le nom du déporté, s'il a trouvé une arme ou de la littérature contre-révolutionnaire et comment s'est déroulé l'opération.

Après avoir placé les déportés dans le train de déportation et transmis son rapport sur les résultats de l'opération, les membres du groupe opérationnel sont libérés et agissent en accord avec les ordres du chef de district du Commissariat du Peuple de la Sécurité publique.

Vice Commissaire du peuple de Sécurité publique de l'URSS.
Commissaire de Sécurité publique de troisième rang (signé):
SEROV


Source:
THESE NAMES ACCUSE, Nominal list of latvians deported to the soviet Russia in 1940-41 (env.35'000 noms)
, Ed. the Latvian National Fund in the Scandinavian Countries, Stockholm 1951, p.41.
Traduction de l'original russe en anglais.
Traduction française mars 1997.


Commentaires 1939-1941:
  • L'ordre 001223 fut signé le lendemain de la signature du Pacte d'assistance mutuelle entre la Lithuanie et l'URSS (8 mois avant l'ultimatum du 16 juin 1940). L'article V. du Pacte avec la Lettonie prévoit: "La mise en application du présent pacte ne doit en aucun cas mettre en cause les droits souverains des Hautes Parties Contractantes, entre autre, le régime de l'Etat, le système économico-social et l'action militaire."
  • Les mémoires de déportés rescapés font état de conditions de transport bien pires que les règles décrites dans cette instruction. Le transport eu lieu en wagons à bestiaux et dura 4-6 semaines. En arrivant en Sibérie, ils furent accusés par les locaux d'être à l'origine de l'agression nazie contre l'URSS.

  • La directive 001223 fut appliquée diversement ce 14 juin 1941 quant à ce que les déportés avait le droit d'emporter. Tous pensaient que le déplacement serait de courte durée et à l'intérieur des frontières de la Lettonie. Dans certains cas, on leur dit de prendre ce que chacun était capable de porter, dans d'autres cas, les soldats aidèrent dans le choix de vêtements d'hiver, mais généralement les soldats limitèrent les bagages à des vêtements d'été.
    Généralement les enfants suivaient leurs parents. On a retrouvé un survivant qui fut déporté seul à 9 ans : il était le fils du Consul de Lettonie aux Pays-bas.
    Les hommes furent séparés des femmes et des enfants en leur promettant de regrouper les familles à l'arrivée. Ce ne fut pas le cas. Croyant à ce mensonge, beaucoup d'hommes se chargèrent des bagages de leur famille qui se retrouva en Sibérie sans pratiquement rien. Cela fut fatal à beaucoup de femmes et d'enfants car ils n'avaient pas le minimum de vêtements pour l'hiver sibérien et n'avaient rien à vendre ou à échanger contre un peu de nourriture.
    Tous les récits concordent pour dire que les équipes de 4 à 8 déportateurs étaient mixtes : soldats russes avec quelques lettons.
    Source: Dzintra GEKA, film documentaire 30 mn “Sibirijas Berni” (les enfants de Siberie, interviews de déportés survivants qui avaient moins de 16 ans au moment de leur déportation le 13-14.juin 1941, une partie des interviewés est resté coincée en Sibérie), Riga 2001 existe dans une version longue “Sibirijas Dienas gramata 1941-2001” (idem)
    , Suisse Romande, 25 avril 1997, Mise à jour: 18 octobre 2001
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